Les représentations de sainte Madeleine

 

 

            Le catalogue de l’exposition de Caen[1] mêlait des Vanités, telles que je les ai définies, et des tableaux d’autel, en particulier des sainte Madeleine, traditionnellement attachées à la vanité. J’ai montré que cette assimilation était problématique, et il m’a paru intéressant d’analyser ces tableaux pour mettre en évidence tout ce qui les distingue des Vanités, en particulier la permanence des éléments du Salut. Ils sont plus ou moins mis en valeur — et c’est ce qui a motivé mon classement — mais ils sont toujours présents. L’inscription institutionnelle de ces tableaux ne fait pas de doute.

 

 Peintres connus pour avoir travaillé pour des institutions religieuses, sujet explicite (Madeleine repentante), accrochage dans un lieu de culte public probable :

 

 

 

 

Philippe de Champaigne, Madeleine pénitente[2].

 

Ici, tout renvoie explicitement à l’inscription religieuse : les dimensions (128x96), le traitement iconographique (tous les éléments d’une sensualité sont gommés au profit du dépouillement qui sied à la sainte, tandis que les attributs du repentir sont mis au premier plan), et la destination connue du tableau : les religieuses de Port-Royal.

 

 

 

 

Guy François, Madeleine pénitente[3].

 

Ce tableau reprend exactement les mêmes éléments que le précédent, sur un mode maniériste. Le Livre ouvert et le crucifix orientent sans ambiguïté le sens de la scène. Le peintre est par ailleurs connu pour être le peintre attitré des jésuites du Puy. (104,5x82,5).

 

 

 

 

Gaspard de Crayer, Sainte Madeleine renonçant aux Vanités du monde[4] .

 

Ici, nul crucifix, nulle Bible. Il est pourtant impossible de confondre la figure de la jeune femme avec quelqu’un d’autre que sainte Madeleine : le renoncement aux bijoux (au premier plan à droite) et à la beauté — ces cheveux que l’on coupe — l’indique sans équivoque. Par ailleurs, Gaspard de Crayer est connu pour avoir peint de très nombreuses toiles destinées aux églises des Flandres et du Brabant. De grandes dimensions (125x103), ce tableau aurait pu être exposé dans une église.

Traitement du sujet explicite :

 

 

 

 

Jacques de Bellange, La Madeleine en extase[5].

 

C’est la plus petite toile du corpus (60x40), mais là encore, le sujet est explicite : les instruments de la mortification, qui rappellent avec les épines ceux de la Passion, donnent sens aux gouttes de sang qui perlent sur les bras nus et à ce visage fébrile.

 

 

 

 

Jeronimo Jacinto Espinosa, Sainte Marie Madeleine[6].

 

Nimbée, la sainte semble aspirer vers le ciel, l’extase marquée sur son visage éclairé, tandis que les objets de la vanité, parfum et crâne, disparaissent dans l’ombre à gauche du tableau. L’habit de moine et la ceinture de corde renforcent le symbolisme religieux de la scène. (112x91)

 

 

Cecco de Caravaggio : Madeleine pénitente[7].

 

Nimbée, Madeleine est surprise en plein dialogue avec le crucifix, comme dans l’Imitation de Jésus Christ. Le vase aux parfums, orné des figures mythologiques de l’amour, est anéanti par le crâne et le livre biblique, support de la méditation. Les dimensions du tableau (144x102) peuvent également laisser penser à un tableau d’autel.

 

 

Confusion possible entre la figure de la Madeleine en extase et celle de la Vénus pécheresse, mais ambiguïté toujours levée en définitive :

 

 

 

 

 

Abraham Bloemaert, Madeleine en extase[8].

 

On confondrait aisément cette Madeleine avec une représentation de Vénus si un crucifix, sur la gauche, ne venait donner son sens à la scène. Madeleine, troublante de chair nue, se lève vers le ciel loin des onguents de sa vanité, abandonnés au crâne sur la table, à proximité du Christ. La sensualité de la sainte et l’ambiguïté de la scène en font certainement un tableau privé, ce que l’activité de Bloemaert, peintre de nombreuses natures mortes, confirmerait. Pour autant, cette Madeleine reste incontestablement un tableau de dévotion : la présence du Christ n’autorise pas une interprétation différente. (136x97,5)

 

 

 

Louis Finson, Madeleine en extase[9].

 

C’est une copie du Caravage, qui laissait lui aussi planer une ambiguïté fondée sur la sensualité du corps nu et de la posture offerte. Ici, l’extase est clairement mystique, comme vient le réaffirmer le crucifix, que Caravage n’avait pas figuré et qui apparaît comme miraculeusement en surplomb de la scène. (120X100)

 

 

 

 

Luca Giordano, Sainte Madeleine renonçant aux Vanités du monde[10] .

 

Ici, nulle croix, mais un nimbe discret vient confirmer le titre et le sujet religieux de cette femme toute en cheveux et couverte de bijoux. (127x106,5)

 

 

 

Elisabeth Sirani, Sainte Madeleine au désert[11].

 

Madeleine est encore pécheresse : sa chevelure occupe la moitié de l’espace du tableau, l’autre étant envahie par la richesse du tissu rouge, tandis que ce corps voluptueux adopte une pose extatique presque indécente. Pourtant les attributs du repentir sont là, autour du crâne et de la discipline : le Livre et la Croix. (113,5x94,3).

 

 

 

 

 

Mattia Preti, Sainte Madeleine (128x96)[12]

Jean Tassel, Marie Madeleine (105x174) [13].

 

Ces deux tableaux sont les seuls du corpus où aucun élément ne figure distinctement l’origine religieuse, n’était le choix de la figure biblique de la Madeleine. La sensualité de la figure féminine reste ambiguë, malgré la présence du crâne : la posture extatique prime sur le reste.

 

 

 

 

 

 

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[1] Les Vanités dans la peinture du xviie siècle, op. cit.

[2] Peintre né à Bruxelles, actif à Paris, 1602-1674. Le tableau se trouve aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Rennes. Les Vanités dans la peinture du xviie siècle, op. cit., p. 161.

[3] Peintre né et mort au Puy, 1578-1650. Le tableau se trouve au Musée du Louvre, Ibidem, p. 163.

[4] Peintre né à Anvers, mort à Gand, 1584-1669. Le tableau se trouve au Musée des Beaux-Arts de Valenciennes, Ibid., p. 143.

[5] Peintre actif à Nancy, entre la fin du xvie siècle et 1624. Le tableau se trouve aujourd’hui au Musée Lorrain de Nancy, Ibid., p. 159.

[6] Peintre né en 1600 et mort en 1667. La toile se trouve aujourd’hui au Musée du Prado à Madrid, Ibid., p. 147.

[7] Actif à Rome entre 1610 et 1620. Tableau aujourd’hui aux Städtische Kunstsammlungen d’Augsbourg, Ibid., p. 151.

[8] Peintre hollandais, 1564-1651. La toile se trouve à Nantes au Musée des Beaux-Arts, Ibid., p. 141.

[9] Peintre hollandais, avant 1578-1617. La toile est aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Marseille. Ibid., p. 149.

[10] Peintre napolitain, 1634-1705. Le tableau se trouve aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Dunkerque, Ibid., p. 153.

[11] Peintre bolonais, 1638-1665. La toile se trouve aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Besançon, Ibid., p. 155.

[12] Peintre calabrais, mort à Malte, 1613-1699. La toile est aujourd’hui au Musée Granet d’Aix-en-Provence. Ibid., p. 157.

[13] Copie d’après Orazio Gentileschi, par Jean Tassel, peintre de Langres, 1608-1667. Le tableau se trouve aujourd’hui au Musée des Beaux-Arts de Dijon. Ibid., p. 165.